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Mobilités : entre besoins exprimés et ressources envisageables, un équilibre est-il possible ?
L’objectif d’Ambition France Transports est de définir un modèle pérenne de financement des mobilités. Dans cette perspective, Trans-Missions souhaite contribuer à la réflexion en s’attaquant à la question centrale :
« Face à l’augmentation des besoins de financement, tant en investissement qu’en fonctionnement, et au regard des ressources financières additionnelles envisageables, un équilibre est-il atteignable ? »
Notre ambition est modeste. Il ne s’agit pas d’élaborer des estimations extrêmement précises à partir de données inédites, mais d’apprécier s’il existe globalement un équilibre ou un déséquilibre entre besoins exprimés et ressources mobilisables. Pour conduire ce « test d’adéquation » entre besoins et ressources, nous nous sommes appuyés sur des rapports et études publics existants. Notre travail souhaite initier une réflexion et nourrir le débat public. Chacun de ses volets peut appeler un approfondissement.
Notre conclusion : les besoins de financement supplémentaires exprimés par les différents acteurs (collectivités, État, SNCF Réseau, …), en investissement comme en fonctionnement, s’élèvent à environ 20,5 Md€ par an, en moyenne annualisée (Graphique 1).
Les ressources additionnelles identifiées pour y répondre atteignent environ 17 Md€ par an (Graphique 2).
Il en ressort, au moins à court terme, un déséquilibre entre ambitions et moyens mobilisables. Cet écart devrait se réduire à long terme, une part importante des besoins étant liée à des investissements lourds et ponctuels, susceptibles d’être financés par la dette ou des fonds européens.
Notre contribution, en tant que cabinet de conseil, n’a pas vocation à formuler des préconisations politiques sur les priorités de dépenses ou les leviers fiscaux à activer. Elle met toutefois en évidence un point central : même en mobilisant l’ensemble des ressources évoquées dans le débat public, atteindre un équilibre à la hauteur des ambitions semble difficile sans un recours significatif à l’emprunt.
1.Les besoins de financement
Pour estimer les besoins de financement[1] en matière de mobilité, nous nous sommes tout d’abord appuyés sur le rapport d’information des sénateurs Hervé Maurey et Stéphane Saturel sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Ce rapport contient des estimations des besoins annuels additionnels des AOM à l’horizon 2030 pour un total de 17,5 Md€ annuels répartis entre Île-de-France, AOM urbaines, Régions et SERM.
À ces besoins de financement des AOM, doit être ajouté celui de SNCF Réseau. Le gestionnaire a estimé entre 1Md€ et 1,5 Md€ supplémentaires par an, l’estimation variant selon l’ampleur du réseau à entretenir (incluant ou non les lignes de desserte fine du territoire).
Viennent ensuite les besoins d’investissement dans le réseau routier non concédé, qu’il appartienne à l’État ou aux collectivités. À partir du peu d’éléments publics disponibles à ce sujet, le besoin d’investissement supplémentaire dans le réseau peut être estimé à environ 200 M€ annuels pour le réseau national et au moins 1,5 Md€ annuel pour celui des collectivités locales. Pour ces dernières, cette somme correspond à une augmentation d’environ 20 % de leurs dépenses actuelles (7 Md€ selon l’AMF).
En conclusion, les besoins estimés de financement sont de l’ordre de 20,5 Md€ annuels. La répartition entre CAPEX et OPEX est détaillée sur le Graphique 1.
2. Les ressources additionnelles envisageables
Quelles sources de financement pourraient être mobilisées pour répondre aux besoins identifiés ? Notre cabinet a recensé, à partir du débat public, les principales propositions de ressources additionnelles susceptibles de financer les ambitions en matière de mobilité (graphique 2). Lorsque des estimations chiffrées étaient disponibles, nous les avons intégrées. À défaut, nous avons réalisé des estimations.
2.1 Accroitre la contribution de l’aérien
Selon un rapport de Greenpeace, à trajet égal en Europe, le train est deux fois plus cher que l’avion. Cette différence s’explique notamment par la différence de taxation. En effet, quand ils achètent un billet de train, les usagers doivent payer la TVA qui représente 10 % du prix. Cette taxe ne s’applique pas aux vols internationaux. De surcroît, l’électricité consommée par les trains est elle aussi taxée à hauteur de 20 %, alors que le carburant des avions, le kérosène, ne fait l’objet d’aucune taxe, ni TVA ni TICPE.
En 2023, un rapport de l’organisation Transport & Environnement avait estimé que le déficit d’imposition sur le secteur (« tax gap »), en y incluant la TVA, l’absence de taxation du kérosène, mais également la mise en place d’un Système d’échange de droits d’émission (ETS dans son sigle anglais) représentait un total de recettes potentielles de 4,7 Md€.
2.2 Faire contribuer le transport routier
Dans une note publiée en 2021 intitulée « Les usagers de la route paient-ils le juste prix de leurs circulations ? », la direction générale du Trésor souligne que les usagers de la route, bien que s’acquittant de certaines taxes (TVA, TICPE ou péages autoroutiers), sont loin de compenser l’ensemble des nuisances qu’ils génèrent (pollution, accidents, bruit, usure des infrastructures).
Pour augmenter leurs contributions, il est envisageable de mettre en place des péages spécifiques, à l’image de ce qui existe dans des pays voisins. En Allemagne, depuis 2005, le péage kilométrique « LKW-Maut » est calculé selon le poids, les émissions et la distance parcourue. En 2023, son tarif varie de 0,098 € à 0,354 €/km. Depuis janvier 2024, une hausse de la redevance est affectée au réseau ferroviaire, générant 6 Md€ par an. En Suisse, la Redevance Poids Lourds liée aux Prestations (RPLP), applicable depuis 2001 aux véhicules de plus de 3,5 tonnes, rapporte environ 1,5 Md€ par an, dont deux tiers financent les infrastructures ferroviaires.
Un dispositif équivalent, l’écotaxe poids lourds, a été envisagé en France en 2007. Elle devait générer 1,2 Md€ par an. En prenant en compte l’inflation et en restant dans un dispositif équivalent, les revenus associés à une telle taxe peuvent être estimés à 1,5 Md€.
Enfin, à l’approche de l’échéance des principaux contrats de concession autoroutière (2031–2036), se pose la question de la réorientation d’une part des profits générés par les sociétés concessionnaires. En 2022, selon l’ART, le modèle concessif autoroutier a généré 11,5 Md€ de chiffre d’affaires pour un résultat net de 3,8 Md€. Les futurs contrats pourraient être repensés et attribués de manière à affecter une grande partie de ce résultat au financement des mobilités. Dans cette hypothèse de révision du modèle concessif autoroutier, environ 3 Md€ de recettes pourraient être dégagées.
2.3 Faire évoluer le Versement Mobilité (VM)
Le VM est une contribution financière obligatoire versée par les employeurs de plus de 11 salariés pour financer les transports publics. Il constitue une ressource majeure pour les AOM et contribue à maintenir des tarifs accessibles pour les usagers.
Plusieurs pistes d’évolution du VM ont été envisagées, notamment lors des débats parlementaires autour de la LOM de 2019. Deux leviers principaux sont régulièrement cités :
- Abaisser le seuil d’assujettissement des entreprises.
À ce jour, seules les entreprises d’au moins 11 salariés paient le VM. Or, selon l’INSEE (2022), environ 15 % des salariés des grandes agglomérations hors Île-de-France travaillent dans des entreprises de moins de 11 salariés. En 2024, le VM contribue au financement des AOM à hauteur de 12 Md€. Un abaissement du seuil à partir du premier salarié permettrait donc de dégager environ 1,8 Md€ supplémentaires.
- Augmenter les taux plafonds du VM pour les différentes AOM hors Île-de-France.
Actuellement, le taux est de 1 % de la masse salariale des entreprises d’au moins 11 salariés dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Il peut atteindre 1,75 % en présence d’un projet de transport en site propre. Son plafond est de 2,95 % en Île-de-France. Plusieurs options sont envisageables : un déplafonnement généralisé ou conditionné à un engagement formel de l’AOM en faveur d’une amélioration substantielle de l’offre de transport, notamment en cas de déploiement d’un SERM avec le renforcement significatif de l’offre. Le revenu du VM étant de 4,8 Md€ hors Île-de-France, pour un taux moyen de 1,25 %. Une augmentation de 0,5 point accroitrait de 40 % de cette somme, soit environ 2 Md€.
Nous retiendrons pour cet exercice d’estimation global qu’une modification du versement mobilité équivaut à un potentiel financier de 2 Md€ (si la baisse du seuil n’allait pas jusqu’à 1 salarié ou si l’augmentation en point était plus faible) et peut varier grandement selon le mode de calcul retenu.
2.4 Accroitre la participation financière des usagers
En France, la part des recettes dans le financement des transports publics n’a cessé de baisser depuis 50 ans. Elle est passée de 70 % en 1975 à 50 % en 1995, pour s’établir à 26,8 % en 2022, soit 1,3 Md€ hors Île-de-France (chiffre UTP 2022). La contribution des voyageurs en France est l’une des moins élevées d’Europe avec néanmoins des fortes disparités (20 % à Madrid, 60 % à Copenhague et 73 % à Londres selon l’EMTA 2024).
Les AOM disposant de la liberté tarifaire, elles pourraient faire le choix d’augmenter progressivement la participation des usagers, pour garantir un meilleur équilibre entre recettes commerciales, VM et autres concours publics.
En cas de doublement de la contribution des usagers, ce qui conduirait à une participation de ceux-ci correspondant à un peu plus de la moitié du coût du service, les recettes additionnelles seraient de l’ordre de 1,3 Md€.
La situation est similaire pour le transport ferroviaire régional. Selon l’ART, les recettes de l’activité TER en 2023 étaient de 1,7 Md€, soit environ 31 % des coûts. Si les voyageurs participaient à la moitié du coût du service, les recettes additionnelles du TER seraient de 1 Md€.
On peut effectuer un calcul similaire pour l’Île-de-France. Les recettes tarifaires étant de l’ordre de 4 Md€ sur un budget total de 10 Md€, une participation des voyageurs de l’ordre 50 % des coûts signifierait une augmentation de 1 Md€ des recettes.
2.5 S’inspirer du Grand Paris Express pour financer l’investissement
Si le montage financier du GPE est spécifique, car conçu pour répondre à un projet territorial unique et n’est pas directement transposable à d’autres territoires, il est opportun de réfléchir à la transposition de certains de ses mécanismes.
Le GPE repose en grande partie sur une fiscalité affectée, complétée par le recours à l’emprunt. Parmi les ressources fiscales mobilisées figurent une fraction de la taxe annuelle sur les locaux de bureaux (TSBCS), une Taxe Spéciale d’Equipement (TSE) additionnelle aux impôts locaux, une Taxe Annuelle sur les Surfaces de Stationnement (TASS), ainsi qu’une taxe de séjour additionnelle de 15 %. La TSBCS et la TASS ont rapporté 677 M€ en 2023, la TSE 67 M€ et la taxe de séjour additionnelle 24 M€.
En 2018, l’INSEE s’est intéressé à la répartition territoriale des emplois. Environ un quart de ceux-ci (24,5 %) se concentre dans les 18 plus grandes zones hors Île-de-France, celle-ci concentrant 22 % des emplois. Les recettes d’une TSBCS et d’une TASS levée sur l’ensemble des grandes métropoles françaises pourraient donc rapporter environ 750 M€.
La taxe de séjour rapporte environ 400 M€ en France, dont 40 % en Île-de-France. Si une taxe de séjour additionnelle de 15 % était mise en place sur l’ensemble du territoire, une recette d’approximativement 35 M€ est envisageable.
2.6 Faire participer le secteur de la logistique urbaine (distribution de colis)
Selon l’ARCEP, en 2023, environ 1,7 Md de colis ont été distribués en France, pour un chiffre d’affaires de 62,9 Md€ (FEVAD, Fédération du E-commerce et de la Vente A Domicile). L’activité de distribution des colis a un impact négatif sur la qualité de vie : pollution, bruit, accidents… La mise en place de mécanisme de type « pollueur-payeur » semble donc légitime. Cette idée a notamment été évoquée dans le cadre des PLF de 2019 et encore très récemment par le gouvernement.
En supposant une taxe d’un euro par colis, la recette additionnelle totale pourrait atteindre 1,7 Md€.
3. Conclusion
En partant des éléments disponibles dans le débat public et en adoptant une approche volontairement « macro », nous parvenons donc à la conclusion suivante : l’ensemble des ressources additionnelles identifiées représente de l’ordre de 17 Md€, soit un montant inférieur aux besoins estimés à 20,5 Md€.
Néanmoins, il est possible que cette différence se résorbe dans une vision plus long terme. Le poids des besoins étant alourdi de moitié (graphique 1) par la nécessité d’investissements importants sur la prochaine décennie pour mettre en place le niveau d’ambition. D’après les éléments à notre disposition, de nombreux investissements demandés par les collectivités n’auraient lieu qu’une fois (par exemple pour les SERM). Les montants d’investissements devraient donc décroitre dans une dizaine d’années.
Précision importante : nous n’avons pas cherché à affecter ces recettes à des besoins spécifiques. Par exemple, nous n’avons pas évalué si les ressources mobilisables par les collectivités locales suffisent pour couvrir leurs propres besoins ni si les financements envisageables pour un mode de transport correspondaient aux besoins de ce même mode. Notre objectif est d’apprécier s’il existe globalement un équilibre ou un déséquilibre entre les besoins et les ressources mobilisables.
La mobilisation de l’ensemble des ressources additionnelles identifiées dans notre analyse et les « coûts politiques » associés (hausse des tarifs, hausse des taxes) apparaissent en deçà des ambitions et des besoins.
A titre d’ouverture : pour résoudre cette équation financière, l’avenir de la mobilité à horizon 2040 ne serait-il pas à des fonds publics dédiés au « mass transit » (train, RER, métro, tramway, BHNS) couplé à de la mobilité partagée, autonome, digitalisée et électrique avec de petits véhicules, et aux modes actifs ?
[1] Note méthodologique :
Les estimations présentées sont fondées sur les données issues du rapport d’information établi au nom de la Commission des finances sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), rédigé par MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel. Nous avons retenu les chiffres correspondant aux besoins annuels de financement pour les coûts de fonctionnement à l’horizon 2030 et, pour les coûts d’investissement, une estimation annualisée basée sur la durée totale et le montant global mentionnés dans le rapport. Ce dernier ne fournit pas d’estimation spécifique des coûts de fonctionnement des SERM. Ceux-ci peuvent être considérés comme intégrés dans l’augmentation des dépenses des AOM urbaines et régionales.
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