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Accès des Régions aux données : victoire pour les Autorités organisatrices des transports au bénéfice du transport ferroviaire

Au cours des débats ayant entouré l’adoption du Pacte ferroviaire(1), en plus des questions de calendrier d’ouverture à la concurrence et de transfert des lignes de desserte fine du territoire, un sujet a mobilisé fortement les Régions : l’accès aux données relatives au service de transport qu’elles financent et qui est réalisé par SNCF Voyageurs. 

La Cour d’appel de Paris a récemment rendu un arrêt(2) qui vient consolider les dispositions législatives au bénéfice des Régions.  

Pourquoi les Régions ont-elles besoin d’avoir accès aux données descriptives de leur service ?  

L’intérêt pour les Régions d’avoir un bon accès aux données est double

Tout d’abord, elles ont besoin d’un tel accès pour pouvoir exercer correctement leur rôle d’Autorités Organisatrices des transports (AOT). Depuis la régionalisation des transports ferroviaires en 2002 par la loi SRU, les Régions ont la charge de l’organisation des transports ferroviaires dans leur territoire. Néanmoins, leur « montée en compétence » face à l’opérateur historique a été bridée par l’absence de transparence de SNCF, devenue SNCF Voyageurs. Alors même qu’elles financent l’intégralité du service TER, SNCF Voyageurs refusait de leur transmettre certaines informations, se retranchant derrière le secret des affaires. Or, par exemple, comment les Régions pourraient-elles dimensionner correctement l’offre sans une vision claire de la fréquentation ? Comment prendre les bonnes décisions en matière d’opération mi-vie ou de renouvellement de la flotte sans connaissance des performances du matériel roulant ? Etc.  

Cette transmission des données à l’AOT est également un prérequis de l’ouverture à la concurrence. Comment élaborer un cahier des charges sans connaitre les performances économiques et techniques du système ? La question de l’accès aux données a en ce sens été identifiée par l’Autorité de Régulation des Transports (ART) comme un obstacle au bon déroulement du processus d’ouverture à la concurrence dans les pays ayant anticipé le calendrier européen d’ouverture à la concurrence (Allemagne et Suède notamment). L’opérateur en place disposant de fait des informations relatives au fonctionnement économique et technique du service qu’il fournit à l’AOT, il lui est plus facile, par rapport à ses concurrents, de calibrer sa réponse aux appels d’offres. Pas de surestimations des coûts pour avoir des marges de sécurité, pas de sous-estimation des coûts avec le risque de connaitre la « malédiction des vainqueurs », une offre trop basse qui se traduit par une perte de revenu tout au long du futur contrat. Sans une information complète et correcte, il n’y a pas d’égalité de traitement entre les concurrents et les opérateurs alternatifs ne pourront pas être concurrentiels avec l’opérateur sortant. 

Un texte de loi sans ambiguïté 

Les Régions ont fait valoir avec succès ces arguments lors des discussions sur le pacte ferroviaire. Cette loi a en effet modifié le Code des transports pour y inclure un article qui leur garantit un accès aux données « Les entreprises fournissant des services publics de transport ferroviaire de voyageurs (…) transmettent à l’autorité organisatrice de transport compétente, à sa demande, toute information relative à l’organisation ou à l’exécution de ces services et aux missions faisant l’objet du contrat de service public, sans que puisse y faire obstacle le secret des affaires » (L.2121-19). Le décret n° 2019-851 est venu préciser les conditions d’application de cet article. 

Le cadre juridique repose sur les deux idées fortes suivantes : 

  • Le droit d’accès aux données est lié à la nécessité pour les Régions d’exercer leur rôle d’AOT. Il est donc indépendant du processus d’ouverture à la concurrence. Une Région peut demander des données y compris si elle n’est pas en cours d’un processus d’ouverture ou si les données ne sont pas utiles pour cette procédure ; 
  • Le décret précise une liste de données auxquelles les Régions peuvent accéder sans que SNCF Voyageurs – et à l’avenir tout opérateur sortant – puissent s’y opposer, de manière « irréfragable » pour reprendre les termes de la loi. Cette liste est un socle minimal et en aucun cas une limite au-delà de laquelle l’opérateur en place n’a pas à fournir d’éléments.  

Le législateur a donc accédé aux demandes des Régions : leur donner un accès large et incontestable aux informations relatives aux services qu’elles financent. Malheureusement, SNCF Voyageurs ne l’entendait pas de cette oreille et a choisi le conflit pour retarder au maximum le transfert de ces données. 

SNCF contre-attaque : le différend avec Hauts-de-France  

Au début de l’année 2018, la Région Hauts-de-France a demandé à SNCF Voyageurs un certain nombre de données, notamment en vue de préparer son processus d’attribution par appel d’offres. 

En avril 2019, considérant que les réponses de SNCF Voyageurs n’étaient pas satisfaisantes, la Région a saisi l’ART d’un règlement de différend. L’Autorité a tranché ce dernier en accédant à la quasi-totalité des demandes de la région dans sa décision n° 2020-044 du 30 juillet 2020(3). SNCF Voyageurs a formé le 27 août 2020 un recours en annulation contre cette décision. Le 23 juin 2022, la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt dans ce dossier.  

Cet arrêt vient confirmer sans aucune ambiguïté l’interprétation de la loi et de la règlementation de l’ART et des Régions. En ne reformant la décision du régulateur que très marginalement, la Cour d’appel confirme les deux idées fortes exposées ci-dessus : 

  • La Cour rappelle « que ni l’article L.2121-19 du code des transports (…), ni le décret du 20 août 2019, ne subordonnent la communication des données demandées par les AOT à SNCF Voyageurs à l’analyse préalable de leur caractère nécessaire à la préparation d’une mise en concurrence ». On peut en conclure qu’une Région est donc légitime à demander des données quand elle le souhaite, y compris des Régions qui ne prévoient pas d’ouvrir à la concurrence à court terme, comme Occitanie, Bretagne ou Centre-Val de Loire. 
  • Sur le caractère limitatif ou non de la liste des données à transférer du décret du 20 août 2019, la Cour est également très claire : celle-ci « ne constitue pas une liste exhaustive des informations devant être communiquées, sur demande, à l’AOT. (…), C’est une « liste minimale », laquelle a l’intérêt d’identifier a priori les informations devant être regardées, de manière irréfragable, comme devant être transmise sans que puisse y faire obstacle le secret des affaires. (…) La Région dispose en conséquence de la faculté de solliciter la communication de toute autre donnée relative à l’organisation et l’exécution des services concernés et des missions de service public ».  

À la lecture de l’arrêt, on comprend que les Régions ont gagné par K.O. cette bataille juridique d’arrière-garde. Cet arrêt vient compléter les décisions de l’ART pour la Région Provence-Alpes Côte d’Azur sur le transfert des données relatives au personnel4 et les données descriptives du services(5) sur lesquelles notre cabinet Trans-Missions a travaillé. Espérons que ces différentes décisions mettront fin à cet épisode juridique et que SNCF Voyageurs se mettra enfin en ordre de bataille pour répondre aux demandes d’informations des Régions. Et surtout, espérons que SNCF Voyageurs se concentre sur ce qui devrait être pour elle le principal combat dans les mois et les années à venir : faire les meilleures offres possibles aux Régions dans le cadre de leurs appels d‘offres au bénéfice du transport ferroviaire !  


(1) LOI n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037111503/

(2) Cour d’appel de Paris – Pôle 5 – Chambre 7 23 juin 2022 / n° 20/11995 https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CA_PARIS_2022-06-23_2011995#_

(3) https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/09/version-publique_decision-n-2020-044_rdd-region-hdf-sncf-voyageurs.pdf

(4) Décision n° 2020-019 du 28 février 2020 portant règlement du différend entre la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et SNCF Voyageurs relatif à la détermination du nombre d’emplois devant être transférés en cas de changement de titulaire de lots du contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs conclu entre la région et SNCF Voyageurs https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/04/version-publique-avec-annexes-decision-2020-019.pdf

(5) Décision n° 2022-001 du 4 janvier 2022 portant mise en demeure de SNCF Voyageurs pour non-respect de la décision n° 2020-044 du 30 juillet 2020 portant règlement du différend entre la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs concernant la transmission d’informations relatives à l’organisation ou à l’exécution de services publics de transport ferroviaire de voyageurs et aux missions faisant l’objet du contrat de service public conclu entre la région et SNCF Voyageurs https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/02/decision-2022-001_vnc.pdf

Photographie : Région Hauts-de-France

Auteur

PPE_2024

Patricia Pérennes

Date

30 août 2022

Catégorie(s)

Société

Thématique(s)

Ouverture à la concurrence ferroviaire