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Sortie de Keolis du marché ferroviaire allemand – des enseignements pour la France ?

L’année 2021 a été marquante pour le marché ferroviaire régional outre-Rhin : deux opérateurs ont décidé de se retirer du marché, deux autres ont échoué à y entrer. Cela signifie-t-il, comme le déclarait l’ex-patron de Keolis, que le « modèle allemand » d’ouverture à la concurrence est biaisé(1) ?

Nos cabinets Trans-Missions et KCW conseillant respectivement les Autorités Organisatrices françaises et allemandes dans leurs procédures d’attribution des contrats ferroviaires régionaux, nous apportons quelques éléments de réflexion sur ce sujet.

2021 : annus horribilis sur le marché ferroviaire régional allemand

Au cours de l’année 2021, deux opérateurs relativement importants se sont retirés du marché ou ont très fortement réduit leur implantation : Abellio qui détenait en 2019 5,3% du marché (4e position) et Keolis 1,2% (8e). DB détient encore 64,8% du marché.

Keolis a mis fin le 31 décembre 2021 aux quatre contrats qu’il exploitait en Allemagne. Abellio, filiale à 100% de l’opérateur historique néerlandais, a cédé la majorité de ses contrats. Les deux opérateurs ont évoqué trois écueils : les conséquences du COVID, la difficulté à recruter des conducteurs et l’impact des travaux d’infrastructure sur l’exploitation.

En parallèle, deux autres opérateurs, l’Américain RDC (Régiorail) et l’Autrichien ÖBB, n’ont pas réussi à entrer sur ce marché à la suite de recours contre des attributions en leur faveur.

S’agit-il de simples coïncidences de calendrier ou bien ces différents échecs sont-ils le fruit d’un dysfonctionnement plus systémique ?

On peut regrouper ces échecs en trois catégories :

  • La première catégorie concerne les échecs en cours de procédure d’attribution qui ont empêché le succès de RDC et des ÖBB, mais aussi d’une filiale de la DB. Les procédures de recours engagées par les sortants sont fréquentes en Allemagne. Et, du fait de la complexité des procédures ferroviaires, les résultats des recours sont relativement imprévisibles.
  • La deuxième catégorie concerne les échecs dans la phase de mobilisation, c’est-à-dire entre l’attribution du contrat et le démarrage de l’exploitation. C’est ce qu’a connu notamment Keolis, en 2019, car il n’avait pas réussi à recruter et former le personnel nécessaire pour le S-Bahn Rhein-Ruhr.
  • La troisième catégorie concerne les déséquilibres financiers en cours de contrat.

Les échecs de la deuxième catégorie s’expliquent principalement par la difficulté à recruter des conducteurs. Initialement, le droit allemand ne prévoyait pas de transfert des salariés en cas de changement d’opérateur. Depuis quelques années, une offre de transfert à conditions identiques est proposée à chaque employé, mais avec la possibilité de refuser celle-ci pour les salariés concernés. Néanmoins, dans le transport ferroviaire comme dans toute l’économie allemande, trouver du personnel reste une gageure.

La troisième catégorie mérite une analyse plus fine : le marché ferroviaire régional allemand est un marché mûr, avec un niveau de concurrence relativement élevé et des candidats qui connaissent en principe leurs coûts. Pour gagner un appel d’offres, les candidats doivent chiffrer leurs offres au plus juste, ce qui implique qu’en cours de contrat, la marge pour compenser des variations dans les coûts ou les recettes est limitée. Certains opérateurs, dont Keolis et Veolia (repris depuis par Transdev), mais aussi Abellio, ont ainsi mené une politique agressive de conquête du marché.

Parmi les causes de leur échec, les deux opérateurs évoquent les clauses d’indexation utilisées dans les contrats qui ne couvrent pas selon eux l’évolution de leurs coûts, notamment de personnel. C’est en particulier le cas pour les conducteurs, car les difficultés de recrutement que nous avons mentionnées plus haut poussent les salaires à la hausse. Les Autorités allemandes ont entendu l’argument et créé un indice spécifique pour les coûts de personnel du secteur ferroviaire régional.

Une partie des déséquilibres vient également du fait que les pénalités pour non-réalisation de l’offre sont le plus souvent appliquées indépendamment des causes. Autrement dit les suppressions de trains du fait de travaux d’infrastructure organisés par le gestionnaire d’infrastructure se traduisent par des pénalités pour l’opérateur. Ce qui était une simplification contractuelle acceptable pendant vingt ans (les opérateurs estimant une part de suppression pour causes externes dans leur offre) est devenue un problème avec la forte augmentation des travaux d’infrastructure ces dernières années. Les Autorités allemandes sont actuellement en train de repenser les règles dans les contrats pour réduire ce risque pour les opérateurs.

Quels enseignements pour la France ?

Le marché ferroviaire régional français est encore en cours de formation. En octobre 2021, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, accompagnée par Trans-Missions, votait l’attribution des deux premiers contrats ferroviaires à la suite d’une procédure de mise en concurrence(2). Cinq autres Régions préparent actuellement des appels d’offres.

Il est donc intéressant de tourner le regard vers l’Allemagne pour apprendre des succès, mais aussi des difficultés rencontrées, tout en prenant en compte le contexte particulier de chaque pays.

En France comme en Allemagne, les nouveaux entrants sont souvent des filiales d’opérateurs historiques étrangers – Thello/Trenitalia, Arriva/DB, Renfe. Les contribuables de leur pays d’origine pourraient demander, comme cela a été le cas d’Abellio, que leur argent ne soit pas dépensé pour exploiter des trains à perte à l’étranger. D’autres opérateurs présents sont possédés par des capitaux privés (Régiorail/RDC) ou public/privé (Transdev, Régionéo).

Le niveau de coût du service pour les Régions lors des premiers appels d’offres en France, bien qu’il ait permis de doubler l’offre à contribution identique, est encore bien supérieur au niveau établi sur le marché allemand. Trans-Missions n’observe pas une volonté de calculer au plus juste les offres pour remporter un marché, mais plutôt une prudence devant un marché nouveau avec des risques inconnus. Il est donc probable qu’une baisse supplémentaire des coûts intervienne lors de la deuxième génération de contrats mis en concurrence, comme cela a été observé en Suède.

Concernant le risque lié à l’indisponibilité de l’infrastructure, les Régions françaises sont prêtes – comme elles le font aujourd’hui avec SNCF Voyageurs – à mettre en place des clauses complexes dans les contrats TER pour déterminer les causes de suppression au cas par cas, afin de ne pas sanctionner l’opérateur pour des suppressions qui ne sont pas de son fait.

En France comme en Allemagne, il existe des tensions sur le recrutement des conducteurs. Toutefois, le cadre réglementaire posé par le pacte ferroviaire devrait permettre aux opérateurs alternatifs de ne pas avoir plus de difficultés de recrutement que l’opérateur historique.

En conclusion, après analyse des causes des difficultés récentes sur le marché allemand, il est peu probable que le marché français subisse ces mêmes problématiques.


(1) « Le système d’ouverture à la concurrence des TER en Allemagne est biaisé » selon Patrick Jeantet, https://www.ville-rail-transports.com/ferroviaire/le-systeme-douverture-a-la-concurrence-des-ter-en-allemagne-est-biaise-selon-patrick-jeantet/

(2) https://www.maregionsud.fr/actualites/detail/ouverture-a-la-concurrence-du-reseau-ferroviaire-en-region-sud-une-chance-unique-pour-le-territoire-et-les-usagers

Auteur

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Julian Nolte

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Patricia Perennes & Andreas Wettig

Date

11 juillet 2022

Catégorie(s)

Articles parus

Société

Thématique(s)

Ouverture à la concurrence ferroviaire