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TGV à quai à la gare de Lyon à Paris

Y a-t-il moins de TGV en circulation aujourd’hui qu’il y a 10 ans ?

L’été 2023 a été un succès pour la fréquentation des TGV en France. Dès début juin, Le Figaro indiquait « l’opérateur ferroviaire table sur une saison record. »[1]. Au cours des mois de juillet et août, le succès s’est confirmé. De très nombreux trains ont affiché complet. Le 7 septembre 2023, le PDG de SNCF Voyageurs, Christophe Fanichet, déclarait devant l’Association des journalistes des transports et de la mobilité que, durant l’été, « le taux d’occupation des TGV a dépassé les 80 %, et que 40 % d’entre eux ont été complets » selon la dépêche AFP qui a suivi cette intervention[2].

Pourquoi de nombreux TGV ont-ils été complets ?

Il y a donc eu, pendant la période estivale, une forte demande des voyageurs, pour les TGV comme pour les TER. Cela a conduit à ce que de nombreux TGV affichent complet.

Pourquoi, devant ce succès, SNCF Voyageurs n’a-t-elle pas augmenté le nombre de billets en vente, soit en ajoutant des trajets supplémentaires, soit en mettant systématiquement deux « rames » pour les TGV (ce qu’on appelle un TGV en « unité double » comme sur la photo ci-dessous) ?

rames TGV duplex sur un viaduc
TGV Duplex composé de deux rames

Pour ce faire, il aurait fallu que SNCF Voyageurs dispose de plus de rames. Or, comme l’a expliqué Christophe Fanichet dans de nombreux médias cet été[3], toutes les rames TGV ont été mobilisées pendant la période estivale. Il était donc impossible pour SNCF Voyageurs de mettre en vente un seul billet de TGV en plus durant cette période[4].

Une pénurie de matériel roulant découlant d’un manque d’anticipation ?

Le constat d’un nombre de rames TGV insuffisant pour répondre à la demande des voyageurs a suscité un débat dans la presse spécialisée. Selon certains spécialistes, si SNCF Voyageurs ne possède actuellement pas suffisamment de rames, c’est que l’opérateur n’a pas anticipé l’augmentation de la demande des voyageurs. Au contraire, depuis la fin des années 2010, SNCF aurait même réduit le nombre de rames qu’elle possède. Sur ce sujet, dans sa Mobilettre du 7 juillet 2023, Gilles Dansart écrit que « Selon nos décomptes, le parc actuel (…) se stabilise aux alentours de 400 rames aptes à circuler, alors qu’à son apogée, en 2013, il était à 520 rames. (…) D’importantes radiations (TGV Sud-Est, TGV Atlantique) ont été programmées depuis dix ans, jusque ces dernières années, en 2020 et 2021, quand l’envoi de 14 rames en Espagne a aussi contribué à dégarnir les rangs ».

Dans cette même Mobilettre, le journaliste ajoute que le débat sur la pertinence des choix effectués par SNCF Voyageurs dans la gestion de son parc TGV est complexe à tenir, car les données sur le nombre de rames ne sont pas publiquement disponibles. Il écrit ainsi avec humour que les « statistiques (nombre, âge, radiations) [concernant les rames TGV de SNCF Voyageurs] sont aussi bien protégées que l’Élysée un jour de manifestation place de la Concorde. ».

Le parc TGV depuis la fin des années 1970

Afin de contribuer de manière constructive à ce débat, notre cabinet a décidé de reconstituer une base de données permettant de suivre chaque rame TGV, de sa date de mise en circulation à celle de mise au rebut.

Rame TGV à quai en gare d'Avignon
Rame TGV en gare d’Avignon Crédit : Patricia Perennes

Chaque rame est identifiée par un numéro inscrit sur la trappe donnant accès à la commande de l’ouverture du nez.

Les sources pour ce travail ont été multiples, permettant de faire des recoupements : Mémentos Statistiques SNCF, « Le Matériel Moteur » de Denis Redoutey édité par La Vie du Rail, des sites internet tenus par des passionnés[5] mais également Wikipédia. Les données d’une source à l’autre diffèrent à la marge de quelques unités mais sont globalement cohérentes.

Notre analyse est basée uniquement sur les rames circulant en France, c’est-à-dire sans les rames affectées au service Thalys, Eurostar et Ouigo Espagne. En revanche, les rames initialement conçues pour Eurostar mais ayant finalement été affectées au service intérieur[6] ont été intégrées.

Graphique 1 : Évolution du parc TGV

graphique reprenant l'évolution du parc TGV
Source : construction de Trans-Missions

Note : Nombre de rames au 31 décembre de l’année, sauf 2023 (parc au 31/7/23)

Comme le montre le graphique, le nombre maximum de rames TGV a été atteint en 2012, avec 482 rames. Aujourd’hui, le parc compte 376 rames, soit 22% de moins. Cette décroissance du parc s’explique, par la mise au rebut des rames Sud-Est et d’une majorité des rames Atlantique[7], sans que cette baisse soit compensée par l’arrivée des rames Duplex dans leurs différentes configurations (Duplex première génération, Réseau Duplex, Dasye et Euroduplex 2N2). Le nombre de 2N2 a même légèrement diminué en 2022 du fait du transfert de rames à Ouigo Espagne, transfert qui n’a pas été totalement compensé par la livraison des nouvelles rames.

Un autre objectif poursuivi par SNCF Voyageurs a été de remplacer les rames à un niveau par des rames à deux niveaux, afin de réduire le coût de production « par siège ». Les rames TGV Sud-Est comptaient 350 places. Les actuelles rames Duplex comptent 510 places, voire 634 pour la configuration « Haute-Densité » des Dasye destinées aux TGV Ouigo[8]. Il est donc important de prendre en compte l’augmentation du nombre de sièges par rames, pour voir si celle-ci compense la réduction du parc. Sous cet angle, on constate une réduction du nombre de sièges à partir de 2014, mais moins marquée en proportion que pour les rames. Cette baisse est de l’ordre de 14% (versus 22% pour les rames) : le nombre de sièges passe de plus de 220 000 sièges au pic de 2013 à un peu moins de 190 000 aujourd’hui.

Graphique 2 : Évolution du nombre de sièges au sein du parc TGV

graphique représentation l'évolution du nombre de sièges dans les trains TGV

Note : Sur la base du nombre de rames au 31 décembre de l’année, sauf 2023 (parc au 31/7/23)

En conclusion, la lecture des données permet de conclure sans ambiguïté à une décroissance du parc TGV de SNCF depuis 2013, y compris quand l’analyse est réalisée en prenant en compte le nombre de sièges.

Une politique d’achat et de mise en rebut découlant du contexte ferroviaire des années 2010

Mais pourquoi la SNCF et l’État ont-ils choisi, au milieu des années 2010, de se séparer d’une partie du parc TGV relativement « jeune » sans la remplacer ? Les rames Sud-Est étaient en service depuis 33,8 ans en moyenne lors de leur mise au rebut, les rames Atlantique depuis 28,2 ans. Habituellement, la durée de service de ce type de matériel est plutôt de l’ordre de 35 ou 40 ans. Alain Krakovitch, le « patron » des TGV et des Intercités, parle d’ailleurs aujourd’hui de faire circuler les rames TGV toujours en service non pas « 35 ans, mais 40 ans, 45 ans ou 50 ans »[9].

À cette époque, le transport ferroviaire était en moins bonne santé qu’aujourd’hui. En 2015, SNCF Mobilités (qui ne deviendra SNCF Voyageurs qu’à la suite du vote du pacte ferroviaire) avait déprécié la valeur de son parc TGV de 2,2 milliards d’euros[10] :

  • Son modèle économique était alors remis en question notamment par l’augmentation des péages d’infrastructure ;
  • La pression concurrentielle de l’aérien lowcost, du covoiturage et la baisse du prix de l’essence à cette période pesaient sur sa profitabilité ;
  • La perspective d’ouverture de la nouvelle ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux était considérée comme non rentable pour l’entreprise ;

Ces phénomènes combinés ont conduit l’entreprise à considérer que la valeur de certaines rames était nulle, car elles ne permettaient pas de générer des marges bénéficiaires suffisantes.

C’est probablement cette perte de valeur, qui ont conduit par la suite le groupe SNCF et son actionnaire unique à décider de réduire le parc TGV.

Dix ans plus tard, le contexte a changé : préoccupations environnementales croissantes, envie de déplacement post-COVID, augmentation très sensible du prix des carburants … Les voyageurs sont revenus et les rames ne sont plus assez nombreuses.

En conclusion, la réduction du nombre de rames et de sièges depuis le milieu des années 2010 ne découle pas d’une simple erreur de gestion, mais d’un choix effectué dans un contexte de relative morosité pour le secteur ferroviaire. SNCF et son actionnaire ont-ils péché par excès de prudence financière, pour ne pas dire de malthusianisme ?

[1] Jean-Yves Guérin, 5 juin 2023, « La SNCF fera le plein dans ses trains cet été » – Le Figaro

[2] « La SNCF bat un nouveau record de fréquentation avec 24 millions de voyageurs sur les grandes lignes cet été » AFP, Libération https://www.liberation.fr/economie/transports/la-sncf-bat-un-nouveau-record-de-frequentation-avec-24-millions-de-voyageurs-sur-les-grandes-lignes-cet-ete-20230907_W5HUNURNHVHRFOYEXR7D43KPW4/

[3] Voir par exemple « Vacances d’été: pourquoi il ne faut pas compter sur des places de TGV supplémentaires », Olivier Chicheportiche, le 06 juin 2023, BFM Business

[4] Il n’était évidemment pas non plus possible pour SNCF Voyageurs d’acquérir rapidement des rames pour pallier ce manque, l’acquisition de matériel roulant s’étalant sur plusieurs années. Ainsi, à titre d’exemple, SNCF Voyageurs a lancé en 2015 un appel d’offres pour la future génération de rame de TGV, les TGV M. Or ces rames seront théoriquement mises en circulation fin 2024 soit un délai de 9 ans entre le début de la procédure et leur inauguration sur les rails

[5] Citons notamment Train du Sud-Ouest http://www.trainsso.fr/page9.html Transport Rail http://transportrail.canalblog.com/ le Web des cheminots, https://www.cheminots.net/

[6] Il s’agit de 3 rames TMST dites 3 capitales (3C) et de 6 rames TMST « North of London » (NOL). A noter pour ces rames, on ne compte qu’une rame pour les deux demi-rames sécables.

[7] On voit sur le graphique que la zone orange, correspondant aux TGV Sud-est disparait totalement au début des années 2020 et que la zone bleue a fortement réduit.

[8] Le nombre de places par rame est parfois sujet à des écarts minimes dus aux modifications des aménagements de certaines rames. Dans notre estimation, nous avons choisis des valeurs reflétant au mieux la réalité : les valeurs choisies sont les suivantes :
2N2 533 places (moyenne entre aménagement à 510 places et aménagement à 556 places)
Atlantique 485 places / Dasye 510 places / Dasye HD 634 places / Duplex 510 places / POS 377 places / Réseau 377 places / Réseau Duplex 510 places / Sud-Est 368 places de 1978 à 1999 et 350 à partir de 2000 / TMST 355 places / TMST 750 places / TMST NOL, 574 places.

[9] « SNCF : avec son projet « Botox », la compagnie ferroviaire prévoit d’allonger la durée de vie de ses TGV » ; Midi Libre, 22 juin 2023 ; Thomas Lorentz https://www.midilibre.fr/2023/06/22/sncf-avec-son-projet-botox-la-compagnie-ferroviaire-prevoit-dallonger-la-duree-de-vie-de-ses-tgv-11292815.php

[10] Voir Rapport financier du groupe SNCF, 31 décembre 2015, paragraphe 4.3.2

Auteur

PPE_2024

Patricia Pérennes

Date

22 septembre 2023

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